Les poupées Russes -5- Anne

Publié le par Pom&Papillonne

-5-

Anne.

 

            Anne se rend au parc tous les jeudi. Qu'il fasse un soleil de plomb ou qu'il pleuve. Par vent et par neige. C'est son rendez-vous de la semaine et elle ne le raterait pour rien au monde. De chez elle, elle remonte vers le centre ville, prend la ligne sept et le bus la dépose juste devant l'entrée principale du parc Saint Germain. Une entrée qu'elle imagine majestueuse pour ce parc qu'elle sait réputé pour son calme et sa beauté.

Comme chaque jeudi, elle longe l'allée principale. Quand il fait beau, elle sent la tiédeur du soleil sur sa peau. Les rayons percent à travers le feuillage des arbres. Elle sent également la moiteur de l'ombre clairsemée mais fraiche que propose ces mêmes arbres. Des tilleuls, qu'elle reconnaît à l'odeur.

Au centre, une fontaine, des clapotis, des gouttes d'eau portées par le vent arrivent sur son visage. Elle entend le bruit puissant des jets qui chantent en cœur et écrivent entre eux une petite symphonie. De temps en temps on entend une mère ou un père qui crie, se désespère après son enfant qui est tombé involontairement de son plein grès dans la fontaine ou qui a encore coincé son bateau au centre de la structure. Bien souvent ces mêmes parents doivent se mouiller pour récupérer le jeune marin d'eau douce et son embarcation. Ces scènes amuses toujours Anne qui sourit discrètement.

Après avoir dépassé la fontaine, Anne continue sa route le long de l'allée. Elle marche encore vingt bon mètres à vue de nez et s'assoit sur son habituel banc. C'est le sien. Elle le trouve toujours disponible. Une fois confortablement installée, elle reste immobile et attend.

Elle attend longuement jusqu'à ce que le soleil décline et que le gardien passe sur sa motocyclette, signal qui indique que le parc va fermer ses portes.

Durant tout ce temps, Anne respire à plein poumons. Elle est loin des bouchons, de la débauche, des jurons et des klaxons. D'ici, elle entend à peine la circulation. Elle hume le parfum volatile des fleurs qui se répand doucement dans l'air. Elle respire la senteur reposante des tilleuls environnants. Une odeur légèrement sucrée et tranquillisante que la brise lui apporte. Une odeur de sérénité, sauf si vous y êtes allergique. Dans ce cas cela vous apporte plutôt des plaques rouges, un nez pris et de sérieuses complications respiratoires. Parfois, elle sent également les effluves trop fortes de femme qui ont eu la main lourde sur le flacon d'eau de toilette.

Outre les odeurs, elle aime aussi entendre le bruit des feuilles qui se parlent entre elles, caressées, chatouillées par le vent. Elle adore être bercée par le chant des oiseaux, leur hululement, gazouillement, petites notes fluettes qui l'amusent et la détendent.

Elle entend également les cris de joies des enfants de l'aire de jeu un peu plus loin. Elle écoute les vélos passer et les rires discrets, ou non, de jeunes filles sur des sujets de discussions affriolant et inintéressant au possible.

Elle s'assoit toujours sur son banc, rarement sur l'herbe. Bien qu'elle aime la sensation de la terre et des végétaux sur sa peau, elle dit qu'elle a l'impression d'écraser un univers.

La journée du jeudi se passe toujours ainsi pour son plus grand bonheur.

Et de son banc, de sa tour d'ivoire, elle ne voit pas les regards des gens qui se tournent et s'arrêtent sur elle. Elle ne voit pas les curieux, les moqueurs. Elle ne voit pas la vie insignifiante du commun des mortels. Elle ne voit pas et elle s'en moque.

PN Pom'

Publié dans Les poupées russes

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