Lettre d'au-revoir

Publié le par Pom&Papillone

« Mamie. Comment vous êtes vous rencontrez papi et toi ?

- Ah…à un bal. Tu sais on était tous les deux des enfants de paysans, et on travaillait dans des familles différentes. Lui il faisait les jardins, et moi je faisais des ménages. »

 

 

Le 28 octobre 1996,

 juste au dessus de toi.

 

Ma Petite Emeline,

 

 

Voici près de six mois que je vous ai quitté, toi, ta maman, ta grand-mère, et tout le reste de la famille. Nous le savions tous, nous savions tous que j’allais m’en aller. J’étais encore jeune, mais malade, atteint du cancer de la prostate. Ta maman ne te l’a pas caché, ni à toi, ni à ton frère. Vous êtes encore tous deux petits, c’est peut-être pour cela qu’elle vous l’a dit, pensant que vous ne comprendriez pas, pensant, que trop jeunes, vous ne vous rendriez pas compte de l’importance qu’on accorde à la maladie et à la mort.  On en accorde trop. On a trop peur de la mort, on l’appréhende trop, mais peut-être, ne l’ai-je pas assez crainte. J’ai continué à fumer et à boire mon Martini en apéritif, entre autres. Je sais, ce sont de vilains défauts que je n’ai pas essayé de corriger. Mais ils font parti de moi, et par conséquent, font de moi, faisaient de moi, un homme difficile.

 

« Ah je pourrais te montrer le trou qu’il a fait dans la table avec le couteau, me dit mamie. »

 

Cependant auprès de toi, et de mes autres petits enfants, je me sentais être un bon grand-père. En tout cas, je vous ai aimé très fort, et vous aime encore beaucoup. Je ressens pour vous une si grande tendresse… ! J’avais besoin de rattraper ma rudesse envers mes enfants auprès de vous, les enfants de mes enfants. Vous êtes si beaux avec vos petits visages tous ronds, vos petites mains, et pieds encore potelés. Eh toi  Ma Saloperie, fillette pleine de malice, quelle chipie tu fais ! J’ai l’impression de revoir ta mère. Tu ressembles à ton père, bien que tu aies gardé mes yeux, et la bouche de ta mère, mais tu as son caractère. Tu sauras te débrouiller ! Ta maman a beaucoup de cran. A 15 ans, elle m’a souvent tenu tête alors que j’avais trop bu, alors que j’étais dans une colère folle. Elle a toujours défendu son frère, avec ta grand-mère, mais c’est toujours ta maman qui m’a dissuadé de continuer à le tourmenter, pour la journée. Elles auraient dû me laisser faire. Il m’aurait peut-être détesté, méprisé mais il se serait sûrement battu pour me donner tort, pour se débrouiller seul, pour devenir un homme qui agit, et non qui subit, ou qui profite. Ta grand-mère est trop bonne. Elle l’est trop avec ton oncle, et  l’a trop été avec moi, surtout avec moi. Et j’en ai profité, pour elle aussi, la malmener. Je lui ai souvent mal parlé, en fait, j’ai souvent trop bu. Mais je l’ai beaucoup aimé, j’ai également encore beaucoup de tendresse pour elle, seulement, je ne suis plus auprès d’elle pour la lui témoigner. J’ai énormément d’estime pour ta grand-mère, pour mon épouse, qui malgré mes sautes d’humeur, est restée auprès de moi, m’a supporté, et m’a respecté ; aimé aussi, un amour que je n’ai pas su cultiver. Elle est restée à mes côtés alors que je mourais, alors que je diminuais, alors que je me consumais, la cigarette s’échappant de mes doigts trop faibles pour la serrer. Elle a supporté me voir m’affaiblir, elle a supporté mon image, mon apparence de fantôme, mon souffle bruyant, mon odeur de malade. Je me suis bien rendu compte qu’elle m’a toujours supporté et accepté, donc, oui c’est sûr, elle m’a aimé.

 

Désormais il ne vous reste plus que des souvenirs. Les bons et mauvais moments passés ensemble. Les Noël et anniversaires vécus avec si bonne humeur. Comme tu aimes te déguiser ! Quels spectacles tu nous as offert avec ton déguisement de clown, et ta trompette tonitruante, celui de sirène, et tant d’autres ! C’est surprenant de te voir parfois calme, et parfois si excitée, enjouée, pleine de vie. Garde cette joie en toi, cet entrain, cela te va si bien.

 

Ces derniers temps, d’où je suis, je ne t’ai pas vu toujours gaie. Tu as beaucoup pleuré. Tu as beaucoup pleuré pour ma mort ou pour la tristesse de ta maman. Vous m’avez toutes touché. Toi aussi tu as du cran, je t’ai vu venir jeter un coup d’œil dans la chambre, sur le lit où je reposais habillé et maquillé avant d’être installé dans un cercueil. Les croque-morts m’ont fait un teint horriblement pâle et jaune. Cela t’a marqué, peut-être même choqué. Je sais pourquoi tu as fait ça. Tu voulais montrer à tes grands cousins que toi, petite fille de huit ans tu avais le courage de venir me voir, moi, ou plutôt mon corps sans vie. Merci. Mais ne t’en fais pas, j’ai ressenti pendant que je vivais, ou lors de l’enterrement, et au fil du temps, en vous observant d’ici, qui m’aimait ou m’avait réellement aimé.

 

Tu étais inconsolable durant la cérémonie. La famille en était presque irritée, mais tu avais tout à fait le droit de pleurer, tout comme ta maman, tout comme ta grand-mère, tout comme les autres. Je ne sais pas si je valais tant de larmes mais elles me touchent profondément. Ainsi, tous les soirs, quelle peine ai-je ressenti en te voyant pleurer dans ton lit avant de t’endormir, en pensant à moi ! Merci. Moi aussi je t’aime très fort. Crois-moi, s’il se pouvait que nous nous rencontrions sur Terre, que nous nous croisions, je te reconnaîtrais, et ne te regarderais pas avec le regard si dur que tu as vu sur le visage de cet homme qui a habité ton rêve, ton mauvais rêve. Il me ressemblait étrangement, mais tu as su comprendre qu’il ne s’agissait pas de moi. Je ne t’aurais pas évité, je ne t’aurais pas regardé avec tant de sévérité, non, je t’aurais prise dans mes bras comme sur la photo que ta maman a rangé dans la boîte où elle rassemble beaucoup d’autres souvenirs. Je suis sûr que tu la retrouveras.  

 

Plusieurs mois sont passés, et je suis apaisé de constater que les soirs durant lesquels tu pleures sont de plus en plus espacés. Comment expliquer cette tristesse alors que nous n’avons pas eu le temps de vraiment nous connaître ? Tu verras, au fur et à mesure tu prendras conscience de mes défauts, de ceux dont je t’ai parlé plus haut. Ta grand-mère et ta maman en parleront, c’est sûr, et tout comme elles ne t’ont pas caché ma maladie, elles ne baisseront pas non plus la voix pour dire que j’étais parfois terrible. J’espère seulement qu’elles ne retiendront pas que cela.

 

« Oui mais il avait bien des qualités quand même non ? Pourquoi tu l’aimais ?

- Oui bien sûr. Tu sais, ton grand-père était très droit. Il faisait les choses bien. Il était consciencieux dans ce qu’il faisait, et courageux. Il n’était pas fainéant. Il était vaillant, oui. C’est ce que j’admirais beaucoup chez lui. »

 

Nous ne nous connaissons pas beaucoup Ma Grande mais je te regarderai grandir, comme si je veillais sur toi, et tu apprendras à me connaître au fur et à mesure, quand les langues se délieront à mon sujet, petit à petit.

 

Ma Petite Emeline, je tenais à t’écrire cette lettre pour témoigner de mon passage sur cette boule bleue, ainsi que de mon absence, et surtout de mon amour, de l’existence de mon cœur qui a été, et qui perdure, j’en suis sûr en chacun de vous, en mes enfants, et mes petits enfants. A toi j’écris cette lettre car, aussi étrange qu’elle puisse paraître et qu’elle apparaîtra, je te crois capable de comprendre en la possibilité de son existence, et tu as et auras assez de sensibilité, mais pas trop de raison pour ne pas trouver cette lettre insensée. Elle te parviendra par la poste, un jour, dans plusieurs années pour que tu puisses comprendre chacun de mes mots et chacune de mes insinuations.

 

« Excusez moi mesdames, oh je suis vraiment confuse, mais pouvez-vous me dire quel jour on est ? demande encore une fois la voisine, la si gentille voisine, qui perd aujourd’hui la tête.

-          On est vendredi 21 avril 2006, vendredi 21, répond et répète mamie.

-          Vendredi 21, d’accord, merci beaucoup, excusez-moi encore… »

 

Enfin, souviens-toi que je ne suis pas très loin, ou plutôt, disons, pas si loin. Souviens-toi que je resterai attentif à ta vie, à vos vies. Rappelle-toi du jour de l’enterrement, au déjeuner. Vous étiez tous à table dans la véranda à discuter, de bon cœur, lorsque la porte de la chambre s’est ouverte, en grinçant légèrement. Soudain le silence s’est installé, et je crois que c’est ton oncle Régis, mon beau fils, qui a prétendu qu’il s’agissait de mon fantôme, avec une pointe d’humour. Un peu mal à l’aise, vous avez tout de même tous souri et approuvé comme par soulagement. Ta petite cousine Hélène, a alors demandé où j’étais, ses parents lui ont dit « au ciel ». La petite n’était pas sûre de comprendre, mais toi, tu as compris que j’étais tout simplement et bêtement mort, et que je ne reviendrai pas, du moins, pas physiquement.  Eh bien, lors de ce déjeuner, vous aviez tous compris. J’étais parti mais ce n’était pas si grave, après tout j’étais un peu je m’enfoutiste et prenais les choses à la légère, avec humour. C’est dans cet esprit que vous avez déjeuné ensemble, même si vous essayiez de ravaler vos larmes. Et ma forte personnalité, mon fort caractère, seraient toujours là, soit en vous, soit dans l’odeur de la maison,  celle-ci également empreinte de ma malice.

 

Désormais, je peux te dire au revoir Ma Grande. Et merci, de tout ton amour. Il valait bien ces quelques lignes, ces quelques explications, sur ton papi.

 

Je t’embrasse bien fort.

 

 

Papi Jean.

 

 

« Je me souviens au bal, sa façon de me serrer tout contre lui, sourit et se souvient mamie. »


C.R. Papillonne. 

Publié dans divers

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